Distilleries

La Guadeloupe produit chaque année plus de 10 millions de litres de rhum, dont une majorité de rhum agricole, élaboré à partir de jus de canne frais plutôt que de mélasse. Cette spécificité confère au rhum une richesse aromatique caractéristique. L’île compte une dizaine de distilleries en activité, héritières de plantations sucrières établies dès le XVIIe siècle. Plusieurs d’entre elles se trouvent sur Basse-Terre, terroir volcanique aux sols fertiles, et d’autres en Grande-Terre ou sur l’île de Marie-Galante, chacune profitant de conditions pédoclimatiques singulières. Malgré l’absence d’AOC (Appellation d’Origine Contrôlée) comme en Martinique, les rhums de Guadeloupe jouissent d’une réputation internationale, reflétant le savoir-faire local, la diversité des variétés de canne et la maîtrise des techniques de distillation.
La Distillerie Bielle, située sur l’île de Marie-Galante, est l’une des plus emblématiques distilleries de la Guadeloupe, connue pour son rhum agricol...
Procédés de fabrication et ressources locales
La canne à sucre est coupée entre février et juin. Les distilleries la réceptionnent aussitôt afin de préserver la fraîcheur de la matière première. Le jus (vesou) est extrait par broyage, puis rapidement fermenté pendant 24 à 48 heures. La distillation s’effectue en colonne créole, caractéristique du rhum agricole, permettant d’obtenir un rhum blanc titrant généralement entre 50° et 60°. La teneur en arômes, issue de cannes sélection…
…nées, diffère selon le terroir. Certaines distilleries, telles que la Distillerie Bologne, située sur les pentes de la Soufrière, cultivent des cannes noires, réputées pour leur forte concentration en sucres. D’autres, comme la Distillerie Longueteau, la plus ancienne distillerie familiale en activité depuis 1895, contrôlent l’intégralité de leur filière, de la canne aux fûts de vieillissement. Les résidus (bagasse) servent de combustible dans les chaudières, réduisant la dépendance énergétique. Ainsi, la plupart des distilleries guadeloupéennes visent une certaine autonomie, valorisant les coproduits et limitant le gaspillage.
Caractéristiques gustatives et typologies
Le rhum blanc agricole guadeloupéen se distingue par des notes végétales, fruitées et parfois florales. Vieilli en fûts de chêne pendant minimum 12 mois pour le rhum paille ou ambré, et jusqu’à plusieurs années (3 ans, 6 ans, 10 ans ou plus) pour le rhum vieux, il développe des saveurs plus complexes, vanillées, boisées, épicées. La Distillerie Damoiseau, située au Moule sur Grande-Terre, produit plus de 3 millions de litres annuellement, devenant l’une des références du secteur, connue pour ses rhums blancs à 50° et ses vieux millésimes reconnus. La Distillerie Bologne, au pied du volcan, sort des cuvées aux arômes délicats. Sur Marie-Galante, la Distillerie Poisson, qui commercialise le Rhum Père Labat, réputé pour sa puissance aromatique, titre souvent à 59°. La Distillerie Bellevue ou la Distillerie Bielle, également sur Marie-Galante, offrent des rhums subtils appréciés des connaisseurs. Les amateurs peuvent ainsi explorer une gamme large, depuis des blancs très expressifs jusqu’aux vieux rhums complexes, récompensés régulièrement dans les concours internationaux.
Visiter les distilleries : infrastructures et accueil
Plusieurs distilleries ouvrent leurs portes au public, permettant de découvrir les étapes de production, d’observer les machines centenaires, les colonnes de distillation, et de sentir les effluves fermentaires. La Distillerie Montebello, fondée en 1930 à Petit-Bourg, produit environ 300 000 litres de rhum par an. Son site offre des visites guidées, montrant la salle des alambics, le parc de cannes, les cuves de fermentation, et un espace de dégustation final. À Sainte-Rose, la Distillerie Reimonenq, créée en 1916, abrite un musée du rhum exposant anciens objets, photos d’époque, planches pédagogiques sur les variétés de cannes, et explications sur les différentes étapes du processus. Les visites, souvent gratuites ou à faible coût, durent entre 30 minutes et 1 heure. Elles s’accompagnent parfois d’ateliers de dégustation, permettant d’apprendre à distinguer un rhum blanc d’un rhum vieux, à apprécier les nuances aromatiques, et à se familiariser avec l’histoire locale. Les boutiques adjacentes proposent des bouteilles, des punchs arrangés, des confitures, ou des souvenirs liés à la canne.
Un savoir-faire séculaire et des équipements modernisés
Les distilleries guadeloupéennes marient traditions et innovations. Les méthodes artisanales subsistent : recours à la colonne créole, sélection manuelle des cannes, fermentation naturelle. En parallèle, l’amélioration des outils de contrôle de la fermentation, la gestion des températures, l’analyse de la composition du vesou et des têtes et queues de distillation garantissent une meilleure régularité et une qualité accrue. Les chais de vieillissement, où reposent des fûts de chêne neuf, ex-bourbon ou ex-cognac, bénéficient d’un suivi précis. Certaines distilleries adoptent des techniques plus durables : la Distillerie Bellevue, par exemple, s’est illustrée en produisant son électricité à partir de la bagasse et en réduisant l’empreinte carbone. D’autres investissent dans l’expérimentation de nouvelles variétés de cannes, de nouvelles cuves, ou dans la micro-distillation de cuvées spéciales. Les débouchés se diversifient, avec des rhums premium vendus sur les marchés américains, européens, asiatiques, des éditions limitées, et des collaborations avec des caves réputées.
Les terroirs et leurs influences
Le terroir joue un rôle essentiel. Les sols volcaniques de Basse-Terre, riches en minéraux, et les terres calcaires de Grande-Terre donnent des profils aromatiques distincts. La pluviométrie, plus élevée sur Basse-Terre (jusqu’à 4 000 mm/an sur les hauteurs) favorise une croissance rapide de la canne et une forte teneur en sucre. Marie-Galante, surnommée « l’île aux cent moulins », a préservé une agriculture de canne moins intensive, permettant une récolte manuelle, un rendement maîtrisé, et des rhums réputés pour leur finesse. La Distillerie Bielle, avec une production d’environ 400 000 litres par an, et la Distillerie Poisson, autour de 200 000 litres, conjuguent héritage et exigence. Le climat tropical, avec des températures moyennes de 26°C à 28°C, accélère le vieillissement du rhum en fûts, comparé à un chai européen, où l’évaporation – la « part des anges » – est plus lente. Les rhums guadeloupéens atteignent ainsi une maturité aromatique plus rapidement, offrant une palette gustative large et profonde.
Rhum, cocktails et gastronomie
Le rhum agricole est l’ingrédient clé du ti-punch, boisson emblématique composée de rhum blanc, de sucre de canne et d’un zeste de citron vert, servie sans glaçons. Les rhums vieux, quant à eux, s’apprécient en dégustation pure, à température ambiante, révélant des notes de fruits confits, de cacao, de tabac. La Guadeloupe recense également des punchs arrangés aux fruits locaux (mangue, goyave, fruit de la passion), titrant 30° à 40°, préparés directement par certaines distilleries. En cuisine, le rhum sert à flamber bananes, langoustes ou desserts. Les chefs insulaires créent des sauces réduites au rhum, mariant sucre et épices, dans une gastronomie inspirée des traditions créoles. Le rhum s’invite donc dans les apéritifs, les cocktails complexes, les desserts, et trouve sa place sur les tables des restaurants gastronomiques. Cette richesse culinaire et artisanale favorise la notoriété internationale de la Guadeloupe en tant que destination gourmande.